(travail en cours)
Pourquoi Architecture ? Je ne peux m’empêcher de citer Annie Ernaux qui dans son livre « le vrai lieu » parle du livre comme un objet en construction et qui me renvoie de suite à cette idée d’architecture. Etre un instant dans la peau de celle ou celui qui convoie la création, la construction. Ces dix pièces, chacune adjointe d’un numéro et de quelques mots. Dix pièces est déjà une grande maison. Dix pièces de fondations et quelques mots. Les numéros des pièces ne correspondent pas obligatoirement à une numérotation précise de la maison, ni à un ordre de construction de l’ouvrage. C’est le fondement de ce qui va ou non s’écrire. De brèves évocations à ce qui va ou non naître. Ma base, mon terreau où puiser. Le nombre 10 ne veut rien dire non plus. Il est venu sous ma plume, pour former un ensemble. Une grande maison veut-elle dire un grand livre ? Non, là n’est pas la question, ni le sujet. Le sujet est d’écrire, me laisser emmener et vous emmener à travers le dédale des pièces, se perdre dans les couloirs, pousser les portes, meubler l’intérieur et habiter petit à petit, cette architecture en devenir.
Une vision poétique peut se traduire dans une pratique qui commence sur la terre ferme, à la base même des choses.
Franck Loyd Wright – architecte américain.
Pièce n°1
Une silhouette seule dans la pièce – Elle –
Sur le mur blanc, un point d’interrogation en rouge –
Un point d’interrogation rouge sur le mur blanc mais où se situe t’-il dans le cadre ? Est-il derrière elle en grand ou en tout petit sur un des côtés. Est-elle debout devant lui ? Le cache t’-elle ? Quelle est sa place à elle par rapport à l’interrogation – Est-ce qu’elle s’interroge ? Est-ce que l’histoire est une interrogation ? Est-ce que sa présence dans l’histoire interroge ? Pourquoi le point est-il rouge ? Est-ce parce qu’il y aura du sang ? Serait-ce sa couleur préférée ? Portera-t’-elle une robe rouge ou va-t-elle tuer quelqu’un ou se faire tuer ou encore se tuer elle-même ? (…)
Elle est seule dans la pièce, une pièce blanche – une grande pièce, une petite pièce ? Peut-être est-ce une pièce qui rétrécit ou qui s’agrandit au fur et à mesure de l’histoire. Est-ce une pièce où est-elle enfermée. Peut-elle en sortir facilement. Y a-t-il une fenêtre dans cette pièce ? une petite ou une grande. Avec volets et rideaux, ou rien, nada – S’il y a fenêtre, va t’- elle parfois regarder à l’extérieur ? Et qu’il y a-t-il à l’extérieur ?– Un champ, une nationale, une ferme, un couple indiscret, un couple qui se dispute, un couple qui se frappe. Y a-t-il un couple ou une famille. Une famille dont les membres se seraient entretués. Par manque d’amour peut-être. Le manque d’amour qui peut exister dans les familles. Pas assez d’amour donné, reçu, reçu et donné. Amour gardé caché mal aimé mal distribué. Qui est-elle ? Que nous dit-elle, que nous raconte t’-elle ? Est-elle intéressante, jolie, grande, inconnue, dépressive ? Est-elle en proie à du désarroi ? Ou n’a t’-elle rien à dire ? Rien à dire, rien à défendre, rien de rien. Comme s’il fallait toujours avoir quelque chose à partager, une opinion, une idée, une affirmation. Comme s’il fallait toujours donner son regard et avoir une parole haute et estimée. Et si elle n’avait rien à dire, pas la moindre petite étincelle de quelque chose à écouter ? Pas la moindre phrase qu’il vaille le coût d’être entendue. (…)
Pièce n°2
Un parking défoncé, des bandes blanches, une voiture, un bâtiment d’insertion sociale.
Drôle d’endroit pour une rencontre, c’est tout de suite ce qu’elle se dit. Dans ce coin paumé où elle vient d’arriver, ce coin paumé où elle ne sait pas par où commencer. Elle va rencontrer. Rencontrer qui, quoi ? Elle ne le sait pas encore, elle a des noms mais pas de visages, des pistes mais pas d’adresses, des envies mais pas de public. Drôle d’endroit, pas beau cet endroit, pas accueillant, pas un endroit où elle a envie de s’asseoir, de visiter, de s’installer. Un endroit qu’elle aimerait fuir, ignorer, une première impression qui lui donne envie de faire marche arrière, demi-tour, détaler, comme les lièvres au petit matin dans les champs, qui filent, quand ils entendent la course de ses pas. Se rencontrer dans cet endroit et comment se rencontre-t-on dans un endroit où l’on ne se sent pas accueilli ? Même si pourtant on l’est, accueilli. Parce que pour les autres, ce n’est pas un drôle d’endroit. C’est un endroit habituel, un endroit du quotidien, un endroit qui ne jure pas dans le décor car rien ne jure pour eux dans le décor, tout est pareil, c’est le décor, leur décor. Seul son oeil à elle, pose un jugement, un regard décalé, une appréciation, un ressenti instantané. Mais pour eux, c’est un endroit comme un autre, un endroit, où ils reçoivent des gens. Un endroit qu’ils ne voient plus d’ailleurs, qu’ils ne regardent même plus, ils le connaissent par coeur, d’ailleurs, ils se garent toujours à la même place ou juste à côté. Ils râlent pour les mêmes choses, la porte lourde à pousser, le tiroir à café presque vide et merde personne n’a apporté de sucre pour la journée et déjà dans les boites mails, il y a trop de spams, notifications, et autres messages qu’ils doivent traiter. Mais ils ont l’habitude, c’est leur endroit, leur routine, leurs presque chez eux, le prolongement de chez eux. Ils en connaissent les contours, savent déjouer les surprises, dévier de leurs trajectoires si besoin était. C’est leur endroit, celui où ils viennent poser leurs corps pendant des heures avant de remonter dans leurs voitures et repartir s’asseoir chez eux. Jusqu’au lendemain. (…)
Pièce n°3
Des rues, des champs et le ciel, des communes rurales, isolées.
Il y a cette nationale longiligne, grise, avec sa rayure blanche, séparant la route pour que les voitures passent en double sens. Droite, elle trace son chemin entre les maisons éparses, les communes de briques rouges et sur les deux côtés, il y a les champs. Des champs et la route. Et, filent les voitures à toute allure et les camions de toutes sortes : tracteurs, camions routiers, camions d’essences, parfois un camion caravane mais c’est plus rare. Il y a sa longue rayure blanche qui la sépare de chaque côté, et les voitures qui se croisent sans se bousculer. Il y a parfois dans la file de droite, un embouteillage créé par un tracteur empli de fumier ou une tractopelle, trainant ses 70 à l’heure et bloquant toute l’aisance de la circulation. Et, puis il arrive parfois, qu’une des voitures tente de passer à gauche, bifurquer, prendre place. On la voit mettre son clignotant, se déboiter un peu, hésiter ou foncer, sentir la griserie de tenter le tout pour le tout, passer avant le camion rouge bétonné qui arrive de l’autre côté. Il y a ces petites départementales ou routes de campagne, qui rejoignent de tous côté, cette grande nationale. Cette nationale qui débouche sur l’autoroute. Cette nationale qui coupe à travers ces paysages de terres et de betteraves sur laquelle au petit matin, on y découvre des animaux morts écrasés. Lapins, renards et parfois plus rare un chat ou tout autre animal domestique venu s’égarer. (..)
Pièce n°4
Des silhouettes, des hommes, des femmes, des enfants.
Le père, clope au bec, ventre ressorti, un peu voûté, en short, la mère derrière avec ses trois enfants. Le plus âgé, 17 ans peut-être, maigre, décharné, fût lui tombant sur le cul, silhouette qui n’arrive pas à cacher sa mère, la fille, au début de l’adolescence, petit tee-shirt montrant son ventre, un jean collé aux cuisses et le petit dernier, grassouillet, tête chauve ou presque. Tête baissée, tous marchent. Le petit dernier râle, la mère, lui demande de se taire, le petit continue, le père se retourne et lui fout une baffe, fort. Personne ne bronche, cris du petit, la mère se tait, l’attrape par la main et le tire. Un homme, blanc, la quarantaine, l’air fatigué, un poil roublard, conducteur d’une limousine blanche pour mariages, fêtes et anniversaires, qui ne sert plus depuis le covid. « Richard, les limousines Richard » qu’il me dit en me tendant une carte aux couleurs criardes. « Vous m’appelez quand vous voulez ». « Mais je ne suis pas d’ici ». « Ce n’est pas grave, vous m’appelez quand même. Richard, c’est moi, les limousines Richard. ». Son chien ne cesse d’aboyer, il faut dire qu’il ne sort jamais de sa cour devant la grille. (…)
Pièce n°5
Une laverie, un PMU, une prison, un Ephad.
Pièce n°6
Des moments de vies.
Pièce n°7
Des émotions.
Pièce n°8
Des atmosphères.
Pièce n°9
Une époque contemporaine.
Pièce n°10
Une histoire, une intrigue, un sujet. Evolution des personnages.
Sur tous les murs blancs, des points d’interrogations en rouge.
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